L'AVENIR DU MAGASIN PHYSIQUE SERA PHYGITAL
L'observateur de tendances herman konings parle des evolutions dans la societe

Les cathédrales ont été construites par des hommes qui savaient qu'ils ne verraient jamais leur œuvre terminée. Dans la collection 'Futures', l'observateur de tendances Herman Konings incite à retrouver la pensée de l'époque, c'est-à-dire une vision à long terme. Nous savons que le changement est beaucoup plus rapide. Cela offre l'occasion de créer quelque chose de nouveau. L'entrepreneur doit donc réfléchir davantage à après-demain. Demandez-vous comment vous pouvez servir les nouvelles générations, qui vont davantage se ressembler et qui ne vont sûrement pas faire une croix sur le magasin physique."
QUATRE GÉNÉRATIONS
Sur la base du temps et de l'argent dont elles disposent, Herman Konings distingue quatre générations:
Peu d'argent, beaucoup de temps
C'est la génération née avant la guerre. Souvent, il y a encore un salarié dans le ménage. En général, cette génération n'a pas profité de tous les avantages sociaux."
Beaucoup d'argent, beaucoup de temps
Les plus vieux baby-boomers sont maintenant retraités. Ils ont profité de tous les avantages, avec le boom de l'économie, et ont donc beaucoup à dépenser. Ils ne s'en privent pas."
Beaucoup d'argent, peu de temps
Les plus jeunes baby-boomers sont encore au travail et ils bossent dur. En général, ils sont deux à travailler dans le ménage, ils ont une certaine ancienneté et ils ont pu acheter leur maison bon marché."
Peu d'argent, peu de temps
Les moins de 45 ans se divisent en deux catégories: les millennials (18-30) et la catégorie plus âgée (30-45). Ils ne peuvent plus profiter de logements bon marché et affichent le taux de divorces le plus élevé. Ils travaillent dur. Les millennials peuvent repousser cette situation, car ils bénéficient encore beaucoup de l'aide de leurs parents."
REFLECHIR DIFFEREMMENT
'Futures' s'articule autour de trois thèmes principaux: le commerce, le déplacement et la chaleur, soit le retail, la mobilité et l'hospitalité.
Ces dernières années, j'ai beaucoup travaillé pour ces secteurs", commence Konings. Une synthèse était donc logique. Elles s'est imposée d'elle-même: ces trois thèmes sont très étroitement liés. Le retail et l'hospitalité ont tout à voir avec la mobilité: soit vous venez au magasin, soit le magasin vient à vous. D'autre part, le retail et l'hospitalité ont beaucoup à apprendre l'un de l'autre."
Difficultés

Ces trois secteurs traversent une période difficile. Le secteur de l'hospitalité en Belgique souffre du développement du tourisme mondial, la mobilité connaît de sérieux problèmes avec les disrupteurs comme Über et le commerce de détail se déplace vers le digital. Il n'y a qu'une seule réaction possible pour les entrepreneurs: réfléchir à long terme. Qu'ils adoptent une attitude ouverte au lieu de se dire: si je fais ça, cela nous rapportera beaucoup demain."
Importance de la pertinence
Je parle parfois de 'réflexion de la pertinence'. On l'a déjà dit mille fois, mais cela n'a guère eu de répercussions: soyez à l'écoute de votre consommateur. Descendez de votre tour d'ivoire et faites ce que font les consommateurs. Uniever, par exemple, veille à ce que ses managers aillent au moins une fois par an sonner chez de parfaits inconnus, de préférence le plus loin possible de leur zone de confort. Ils doivent alors faire partie de la famille pendant quelques heures. Cuisiner, ranger, discuter, regarder la télé avec ces gens. Nous sommes tellement habitués à travailler avec une étude quantitative, avec un échantillon de grande ampleur! C'est une bonne chose, mais l'échantillon individuel est aussi important. C'est en discutant avec des individus que l'on peut donner du relief à son travail."
Pas que des chiffres
C'est en discutant avec des gens qu'on se rend compte qu'il y a une différence entre le cerveau masculin et le cerveau féminin. Les gens qui fabriquent des produits, pensent souvent 'c'est un magnifique produit qui va bien fonctionner'. Au début du 21e siècle, nous avons vu apparaître partout de petites voitures citadines permettant aux femmes de se garer facilement. Cela n'a jamais marché, les femmes ne se sont pas senties concernées. Qui avait imaginé ça? Des ingénieurs masculins."
Difficile à prévoir
Konings avoue qu'il est devenu plus difficile qu'avant de réfléchir à long terme. La vitesse de changement augmente et il est donc difficile de faire des projections. Ce que les futurologues prévoient pour 2050, pourrait déjà être une réalité en 2030. Ce n'est pas seulement la technologie qui fait augmenter cette vitesse. Il y a aussi de moins en moins de résistance au changement, car il y a plus de jeunes. Ceux-ci adoptent plus vite la nouveauté. En outre, les jeunes générations se ressemblent davantage suite à la mondialisation, non seulement avec Internet, mais aussi avec la démocratisation des voyages."
Moins de différences
J'appartiens à la plus jeune génération de baby-boomers: nous sommes différents des cinquantenaires et des sexagénaires de l'Est et du Sud. Les jeunes ont beaucoup moins de différences culturelles, ils partagent les mêmes habitudes, font les mêmes choses, suivent les mêmes schémas de consommation. L'entrepreneur doit jouer là-dessus: on ne sait pas forcément ce qui va changer, mais on sait que beaucoup de gens emprunteront la même direction simultanément. Si on crée quelque chose de nouveau, il y a donc une chance qu'elle soit adoptée par plein de gens en même temps. Mais pour créer quelque chose de nouveau, il faut une attitude positive. Osez voir plus loin et réfléchir à après-demain."
Soyez critique
Réfléchir à long terme, c'est être critique face aux histoires toutes roses. Le modèle de la Silicon Valley a longtemps été considéré comme l'avenir avec un grand A: beaucoup d'innovation, le lancement de la 'weconomy'. En réalité, il faut travailler jour et nuit et présenter un maximum de bénéfices le plus vite possible. Cela n'a rien à voir avec l'innovation. Regardez Apple: la marque n'a pas tellement innové, à part sur le plan du marketing. Aujourd'hui, il est habituel de gagner plein d'argent avec quelque chose de pas vraiment révolutionnaire."
Pas les seuls

Un autre exemple est Airbnb, souvent considéré comme la plus grosse chaîne hôtelière au monde. Il n'en est rien: c'est une plate-forme qui met en contact des gens ayant des chambres en trop, avec des gens qui cherchent une chambre. Amsterdam a réalisé une étude sur Airbnb; la ville possède env. 17.000 chambres Airbnb. Et 80% de ces chambres proviennent d'instituts ou de gens ayant plusieurs logements: des riches. On est en plein dans l'économie de Piketty. Ces bâtiments disparaissent du marché de la location, car ils rapportent plus avec Airbnb. Conséquence: les loyers augmentent de 10 à 12%. Une économie partagée? Pas du tout! On entend souvent dire que l'on s'adresse directement au consommateur en sautant le maillon du retail traditionnel. Ce n'est pas vrai. Ce maillon est incarné par d'autres acteurs. Mais la bonne nouvelle est que les acteurs traditionnels ont beaucoup appris de cette histoire: les locaux, le manque de prévisibilité et les contacts personnels sont importants. En observant bien ce genre de disrupteur, on peut mieux répondre aux innovations."
DIFFERENTES GENERATIONS
Une deuxième ligne directrice dans la collection traite des différences entre les générations et de la manière d'y répondre. En gros, il faut distinguer les millennials des baby-boomers, même si les différences sont plus subtiles (voir encadré).
Baby-boomers compétitifs
Les baby-boomers ont un esprit très compétitif. Ils ont eu beaucoup de chances, ils ont eu la possibilité de faire des études supérieures et d'arriver plus haut. Alors, ils en ont bien profité. Comme ils sont compétitifs, ils attachent beaucoup de valeur à la possession et au statut. Comme ils ont du temps et de l'argent, ils constituent un groupe-cible intéressant pour le détaillant."
Millennials collaboratifs
Les millennials ont plutôt un esprit collaboratif. Plus encore que les baby-boomers, ils ont la possibilité de voyager et de goûter aux hautes études, mais en même temps, il n'est pas si facile pour eux de grimper rapidement. Contrairement aux baby-boomers, ils se saignent pour payer leur logement: la propriété devient alors automatiquement moins importante. Selon eux, on va plus loin quand on partage. L'ensemble de l'économie partagée s'adresse aux millennials. Et ils ont raison, car Internet leur offre aussi la possibilité de collaborer. Jouer à plusieurs, voilà ce qu'ils font. Leurs parents aussi, mais surtout pour être les meilleurs quelque part. C'est là toute la différence."
Visez les jeunes millennials
Mais les jeunes millennials sont aussi un groupe-cible très intéressant. De plus en plus de gens de moins de trente ans habitent encore chez leurs parents
ils s'entendent beaucoup mieux avec eux que les générations précédentes. Cela signifie qu'ils disposent de beaucoup plus d'argent
ils ne doivent pas encore rembourser de maison
et qu'ils ont beaucoup de temps, car ils peuvent profiter des bons soins de leurs parents. Les responsabilités et les tracas ne commencent qu'à partir de trente ans, de nos jours. Les organisateurs de concerts l'ont bien compris: ils programment des festivals où peuvent aller parents et enfants, touchant ainsi deux publics d'un coup. Grâce au puissant réflexe nostalgique des millennials, on peut servir deux publics intéressants en même temps."
Le magasin physique reste important
Cette génération est aussi la première vraie génération mixte. Leurs parents leur ont appris l'amour de l'analogique, si bien qu'ils n'apprécient pas uniquement le digital. Petite échelle, artisanat, lenteur: autant de choses qu'ils apprécient énormément. Cela ne signifie pas qu'ils boudent le digital. En effet, ils ont grandi avec. Pour les millennials, les deux sont importants. Le retail peut jouer là-dessus avec une bonne continuité entre l'aventure hors ligne et l'aventure en ligne: ce que nous appelons le 'phygital'.